Mannheim, 20 juillet 1914
Au milieu de l’été 1914, Mannheim, alors ville de l’Empire Allemand, accueille l’un des plus importants tournois d’échecs de l’époque. L’élite des joueurs y participe, Réti, Bogoljubov, Alekhine, entre autres.
Le 1er août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie tsariste et le 3 août, à la République Française. Tous les joueurs ressortissants de pays en guerre contre le Kaiser sont jetés en forteresse, à Rastatt. Le tournoi, qu’Alekhine menait, s’interrompt à mi-parcours.
La légende affirme que, pour garder le moral, jusqu’à mi-septembre, Alekhine et Bogoljubov mèneront une interminable partie à l’aveugle en hurlant leurs coups, de cellule à cellule.
À la fin de l’été, la Croix-Rouge Internationale parvient à faire libérer quelques prisonniers. La plupart s’empresseront de tout oublier. D’autres – les vrais champions – travailleront tout au long de la guerre à faire libérer leurs camarades.
Huit de ces derniers, pour l’essentiel des Russes, resteront prisonniers jusqu’en 1917 dans un coin perdu de la Forêt-Noire. Grâce aux vertus de l’amitié et à la mansuétude des gardiens, ils transformeront ce qui aurait pu être un douloureux purgatoire en un Balcon en Forêt, et ils organiseront régulièrement, année après année, des tournois d’échecs que Bogoljubov gagnera. La paix revenue, il refusera de partir, épousera une sympathique villageoise, et terminera sa vie sur son lieu de relégation. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
En période de tournois par équipes, je n’aurais certainement pas pensé écrire un tel article. Oui, mais voilà ! Hier mercredi, je suis allé voir Wesley entraîner les futurs Carlsen et, il faut être honnête, j’ai perturbé le cours. Quelques futurs Carlsen sont en classe de 3ème, et passeront le Brevet à la fin de l’année. Alors, en bon prof d’histoire-géo à la retraite, je n’ai pas pu me retenir de faire le malin en dissertant sur les causes de la guerre de 14.
Wesley a mis le holà à ce cours improvisé, l’Entente Cordiale a laissé la place au système de Londres, et la bataille de la Marne à la Défense Française. Il a eu raison ! Mais je lui ai affirmé qu’on ne bâillonnait pas une Presse Libre, et que je parlerai de la guerre de 14 d’une façon ou d’une autre, parce qu’Assurancetourix finissait toujours par arracher son bâillon.
Et voilà, c’est fait !
Je vous laisse découvrir la morale de ma petite anecdote, les futurs Carlsen ! Mangez des pâtes ! Et courage pour dimanche !
Jean-Michel Labourdique
La vie du Club – Cours d’échecs du mercredi 04/12/2024