Le « Je » de la Dame
– Sacré tournoi, commenta Denis, en revenant au parking après la remise des prix.
– Ouaip, répondit laconiquement Laurent, dit « la Gattègne ».
Mes deux copains de l’Aviron Bayonnais, que j’héberge pendant l’Open de Saint-Macaire, ont raison. Sacré tournoi. Certainement le seul en France, où l’organisateur, notre ami Tristan, prend le temps entre deux rondes d’improviser, pour les joueurs d’échecs amoureux d’histoire et de géographie, la visite pédestre de sa petite ville magnifique. Le seul en France où les joueurs peuvent se régaler à la buvette des fameuses « tartes aux pommes ». Le seul enfin où les toilettes sont si rares, mais l’ambiance si cordiale, qu’on devise chaleureusement en faisant la queue, comme des supporters de rugby au guichet du stade… Bernard Dubertrand, de l’Échiquier Montois, a mis 46 minutes pour parcourir les deux étages qui mènent à la salle de jeu. À part quelques exceptions, les joueurs d’ échecs sont des orateurs, et chaque marche d’escalier leur est une tribune.
Je ne veux pas distinguer, au dernier soir de ces trois jours de compétition, qui furent les gagnants et les perdants. Tout le monde a gagné, car tout le monde a participé à cette belle fête de l’amitié. D’abord tous les joueurs copains du club : Loïc, Wesley, Fabrice, Maxime, Jean-Philippe, Quentin, Luther, Sylvain et Samuel, ainsi que leurs parents. Et tous ceux que la fraternité du sport nous a permis de connaître, telle Marie-Angélique Roselle, et tous ceux qui viendront jouer bientôt en compétition, tel Roger qui est venu à la remise des prix ! Et tous ceux qui auraient dû être là , comme Emma, mais on lui pardonne car le basket aussi est un sport magnifique.
En conclusion, je conterai une anecdote de ma jeunesse. Ma bande de copains avait proposé au patron du « Koskera », pendant les fêtes de Bayonne, de l’aider à monter sa terrasse. Le parasol gigantesque dont s’occupait Gilles s’était effondré dans une avalanche de vaisselle et de vin rouge. « Je suis désolé, je ne suis pas un manuel », avait dit Gilles debout au milieu du désastre, avec le ton que John Wayne utilise quand il affirme à Lee Marvin : « c’était mon steak, Valance ».
Un long silence se fit. Puis le patron, une louche de haricots tarbais à la main, répondit à Gilles : « Comme tu n’as pas une tête d’intellectuel, je me demande qui tu es ! ».
Il mettait le doigt sur une question primordiale, qui taraude l’humanité depuis la grotte de Lascaux. Qui suis-je ?
C’est la question que Beth Harmon, une ex-petite fille jetée dans un orphelinat par le hasard d’un accident de la route, essaie de résoudre grâce au jeu d’échecs, ce jeu où le hasard n’intervient pas.
Le « Je » de la Dame.
Et nous, futurs Carlsen, comme la championne du célèbre roman de Tavis, avec beaucoup d’amitié et de gaieté, nous nous tenons debout dans un monde de parasols effondrés.
À la question « Qui suis-je ? », nous savons quoi répondre : Nous sommes les meilleurs copains du monde.
À bientôt, les futurs Carlsen ! Mangez des pâtes !
Jean-Michel Labourdique
Open de Pâques de Saint-Macaire, du 19 au 21 avril 2025