Chez les Cheminots

Chez les Cheminots

« Je suis pris dans un piège, le piège intemporel que les gares nous tendent immanquablement. Une fine poussière de charbon flotte encore dans l’air autour des gares tant d’années après que les lignes ont toutes été électrifiées ».
J’ai pensé à ces lignes d’Italo Calvino en entrant dans la salle de jeu de l’ASPOM, qui est aussi la cantine des cheminots de Bordeaux, coincée entre la rue de l’Atelier et la rue de la Compagnie du Midi. Aux murs, de belles photos décrivent les grandes heures du syndicalisme, de la résistance, des grèves de 1947. Non loin, quatre citernes gigantesques, perchées sur une maçonnerie du Second Empire, rappellent que les locomotives roulaient au charbon au temps de Napoléon III.

Dès l’entrée, un flipper des années 50 donne le la : « Lethal Combat ». Quelle arme mortelle devrai-je utiliser pendant ces trois jours de combat ? L’Espagnole ? La Sicilienne ? Le Gambit Owen ?

Je feuillette les livres de la petite bibliothèque près de la buvette, magnifiquement achalandée par les cheminots. Je trouve un ouvrage sur la Grèce Antique, superbement illustré. Je l’ouvre au hasard, espérant trouver, comme les Grecs à Delphes, un oracle. Je tombe sur une biographie de Périclès : « On ne pouvait rester insensible à son visage empreint de noble gravité, tempéré par un fin sourire. »

Voilà la clé d’une victoire glorieuse, comme à Salamine ! Jean-Michel « pokerface » Labourdique. Leitmotiv : n’offrir à mes adversaires qu’un visage imperturbable, impénétrable. Ne parler, rarement, que par litotes. N’être excessif que dans la retenue.

Les copains sont arrivés, et mes résolutions en ont pris un coup.

Résumons, pour chaque copain de Créon, en quelques lignes, ces trois jours de tournoi.

Faustin a montré sa virtuosité en finale, avec des mats rapides et sobres. Il était content de son tournoi, une préparation pour les compétitions futures.

Maxime était lui aussi satisfait de son tournoi. Il a démontré qu’il était bien un joueur d’attaque, capable de beaux sacrifices sur le roque adverse.

Emma, comme ses camarades, a montré le sérieux d’une vraie championne. Une double championne d’ailleurs, puisqu’elle a obtenu un congé de l’arbitre, pour aller disputer une partie de basket à l’autre bout de Bordeaux pendant la ronde 2, avant de revenir pour la ronde 3 et gagner.

Wesley, en bon professeur, a montré à ses élèves du samedi qu’il pratiquait ce qu’il enseignait, sacrifiant sa tour sur le roque adverse pour mettre à sa merci le Roi ennemi.

Enfin, j’ai essayé d’obtenir de Jean-Philippe quelques informations sur son jeu, mais il a haussé les épaules. « Parle de ce qui est important : le Far Breton ». La cuisinière du Far, qui tenait la buvette, l’écoutait, radieuse. Nous avons alors entamé une longue conversation gastronomique qui s’est conclue avec la recette du Pot-au-Feu d’Hélène Darroze et – je dois mettre des majuscules – l’Os à Moelle. La Dame de Fer sera peut être oubliée par l’Histoire, mais je n’oublierai jamais la Dame du Far. Je suis parti jouer la ronde suivante en rêvant d’Os à Moelle, malgré ce que j’avais avalé, et c’est la faim au ventre que je me suis assis devant l’échiquier. C’est pour ça que j’ai perdu. J’avais faim.

A bientôt, les futurs Carlsen ! Mangez des pâtes !

Jean-Michel Labourdique

8e Open Jean Mandouze, Bordeaux ASPOM Échecs, du 9 au 11 novembre 2024

ClassementGrille américaine


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