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Category: Tournois divers

Chez les Cheminots

Chez les Cheminots

« Je suis pris dans un piège, le piège intemporel que les gares nous tendent immanquablement. Une fine poussière de charbon flotte encore dans l’air autour des gares tant d’années après que les lignes ont toutes été électrifiées ».
J’ai pensé à ces lignes d’Italo Calvino en entrant dans la salle de jeu de l’ASPOM, qui est aussi la cantine des cheminots de Bordeaux, coincée entre la rue de l’Atelier et la rue de la Compagnie du Midi. Aux murs, de belles photos décrivent les grandes heures du syndicalisme, de la résistance, des grèves de 1947. Non loin, quatre citernes gigantesques, perchées sur une maçonnerie du Second Empire, rappellent que les locomotives roulaient au charbon au temps de Napoléon III.

Dès l’entrée, un flipper des années 50 donne le la : « Lethal Combat ». Quelle arme mortelle devrai-je utiliser pendant ces trois jours de combat ? L’Espagnole ? La Sicilienne ? Le Gambit Owen ?

Je feuillette les livres de la petite bibliothèque près de la buvette, magnifiquement achalandée par les cheminots. Je trouve un ouvrage sur la Grèce Antique, superbement illustré. Je l’ouvre au hasard, espérant trouver, comme les Grecs à Delphes, un oracle. Je tombe sur une biographie de Périclès : « On ne pouvait rester insensible à son visage empreint de noble gravité, tempéré par un fin sourire. »

Voilà la clé d’une victoire glorieuse, comme à Salamine ! Jean-Michel « pokerface » Labourdique. Leitmotiv : n’offrir à mes adversaires qu’un visage imperturbable, impénétrable. Ne parler, rarement, que par litotes. N’être excessif que dans la retenue.

Les copains sont arrivés, et mes résolutions en ont pris un coup.

Résumons, pour chaque copain de Créon, en quelques lignes, ces trois jours de tournoi.

Faustin a montré sa virtuosité en finale, avec des mats rapides et sobres. Il était content de son tournoi, une préparation pour les compétitions futures.

Maxime était lui aussi satisfait de son tournoi. Il a démontré qu’il était bien un joueur d’attaque, capable de beaux sacrifices sur le roque adverse.

Emma, comme ses camarades, a montré le sérieux d’une vraie championne. Une double championne d’ailleurs, puisqu’elle a obtenu un congé de l’arbitre, pour aller disputer une partie de basket à l’autre bout de Bordeaux pendant la ronde 2, avant de revenir pour la ronde 3 et gagner.

Wesley, en bon professeur, a montré à ses élèves du samedi qu’il pratiquait ce qu’il enseignait, sacrifiant sa tour sur le roque adverse pour mettre à sa merci le Roi ennemi.

Enfin, j’ai essayé d’obtenir de Jean-Philippe quelques informations sur son jeu, mais il a haussé les épaules. « Parle de ce qui est important : le Far Breton ». La cuisinière du Far, qui tenait la buvette, l’écoutait, radieuse. Nous avons alors entamé une longue conversation gastronomique qui s’est conclue avec la recette du Pot-au-Feu d’Hélène Darroze et – je dois mettre des majuscules – l’Os à Moelle. La Dame de Fer sera peut être oubliée par l’Histoire, mais je n’oublierai jamais la Dame du Far. Je suis parti jouer la ronde suivante en rêvant d’Os à Moelle, malgré ce que j’avais avalé, et c’est la faim au ventre que je me suis assis devant l’échiquier. C’est pour ça que j’ai perdu. J’avais faim.

A bientôt, les futurs Carlsen ! Mangez des pâtes !

Jean-Michel Labourdique

8e Open Jean Mandouze, Bordeaux ASPOM Échecs, du 9 au 11 novembre 2024

ClassementGrille américaine


Une magnifique journée d’octobre

Une magnifique journée d’octobre

Hier samedi ,nous ne savions pas encore que ce dimanche serait magnifique.Wesley menait à bien les derniers préparatifs du 1er tournoi de parties rapides de Créon,et il devait trancher d’importantes questions qui auraient laissé Miguel Najdorf pantois.

Fallait-il compléter la carte du barbecue avec de la ventrèche?Devait-on inclure de la compote dans le menu à 6euros50,et quel serait le tarif du verre de rouge?

Une ride de contrariété barrait son front.J’ai annoncé que la météo était désastreuse,et j’ai vu la ride se creuser.

-Il pleut vraiment,Jean-Michel?de la pluie?

-Ouaip,j’ai dit.De l’eau qui tombe du ciel.

-De L’EAU ,ou de l’eau?

-De L’EAU,j’ai dit.Mais on a un préau,non?

-Euh,pas un PREAU,mais un préau.

-Un préau?

-Tout petit,a avoué Wesley.

Heureusement,la météo s’est trompée,et le ciel est resté clair.Parlons échecs.Quelle journée!

 

Après la ronde 1,j’ai glané quelques confidences de nos vaillants harponneurs.Maxime a bien achevé un patient travail de sape commencé par le gain de la qualité..Jean-Philippe a remporté contre Maieul un combat fratricide,de justesse.Emma aurait dû » faire nulle contre CE 2000″.Erwan disait « s’être mis la pression tout seul »,ce qui est la devise des buveurs de bière indépendants,et Pierre m’a confié: »J’ai reçu une belle leçon d’un espoir caudéranais d’une sérénité totale.Quel plaisir de rencontrer des gens sereins!Il m’a donné des conseils que j’ai bus! »

J’ai dirigé alors mes pas vers la buvette pour boire autre chose,mais j’ai été interrompu par le coup de gong de la

RONDE 2 ,marquée par la partie de la journée,celle de Liam qui ,dans une position compliquée et avec 10s à la pendule,alors que son adversaire disposait encore de 5mn 45s,,a remporté une victoire magnifique de sang-froid.

A la RONDE 3,Ulysse a combattu le loup-un joueur au gros elo,M.Leleu-sans succès,mais après ce combat,il nous a conté avec plaisir comment il avait remporté la ronde précédente grâce au travail qu’il avait fait avec Fabrice ,en visio,sur les finales.Bravo aux deux!

A la RONDE 4,Tony a gagné grâce à la partie anglaise,Faustin a mis au point un échec à la découverte assassin,Maxime a encore gagné la qualité,et Liam,grâce à un pion passé décisif,a provoqué l’abandon de Gauthier.

A la RONDE 5,Maxime a gagné contre Quentin,malgré une pièce de retard dont il ne s’est aperçu de la disparition que 10 coups après sa perte.Après la ronde,j’ai écouté les doléances des filles de la buvette:

-« J’ai fait beaucoup trop d’aller-retours pour alimenter le bar »

-« Y’a pas assez de cookies »

-« Mais les joueurs sont vachement sympas »a conclu Géraldine.

A la RONDE 6,Emma a gagné grâce à une fourchette de pion.La Sicilienne d’Emma!

Et à la RONDE 7,l’Anglaise d’Emma a succédé à la Sicilienne d’Emma! « ça va pas être folichon »,a-t-elle dit en voyant que je jouais symétrique.En fait,ça a été folichon ,du moins pour elle,quand elle s’est jetée sur mon roque avec une férocité de Tigre.

Ulysse ,pendant ce temps,avec 3 pions de moins dans une finale de tours,réussissait à obtenir la nulle grâce à une défense magistrale..

A la RONDE 8 ,Luther a réussi un très beau mat face à Jean-Philippe.Enfin ,à la RONDE 9,Gauthier,plein de sang-froid,a gagné au temps.

 

Pour conclure cette belle journée ,pleine de victoires et d’amitié,j’adresse un grand merci aux copains ,aux mamans ,aux papas,aux bénévoles,à l’arbitre,mais surtout à nos Jeunes,qui sont de vrais Sportifs.

D’ailleurs je suis sûr que toutes les parties de régionale de dimanche prochain seront remportées par des Créonnais!

A bientôt les futurs Carlsen!Mangez des pâtes!

JMLabourdique

Pour saluer Melville

Pour saluer Melville

Hermann Melville, dans son magnifique roman Moby Dick*, raconte la folie du capitaine Achab. Ivre de haine, obsédé par la baleine blanche, le capitaine du Pequod se jette à corps perdu dans un combat à mort. Il balance par dessus bord son sextant**, car il ne voit plus l’intérêt de noter sa position sur le livre de bord, mais conserve son loch***, car il veut mesurer la vitesse de son attaque-éclair.

Moby-Dick - Lutte finale - Par I. W. Taber - Edition Charles Scribner's Sons, New York, Domaine public

Les joueurs de parties d’échecs rapides sont de petits Achab. Ils ne notent pas leurs coups, à la différence des joueurs de parties longues, qui méditeront leur vie durant sur de vieilles feuilles de match, exactement comme les capitaines en retraite se rappellent les Baléares ou l’archipel des Mariannes en feuilletant de vieux livres de bord.

Les joueurs de parties à la cadence de 15 minutes plus 3 secondes par coup, misent généralement tout sur l’attaque. Et il s’agit autant de jouer vite que de jouer bien, et de précipiter sur la Baleine Blanche – le Roque adverse – un maximum de harponneurs.

Ce dimanche 22 septembre 2024, nous étions plusieurs membres de l’Échiquier Club Créonnais à avoir participé au 17e Open de Rentrée organisé par le club Union Saint Bruno-Bordeaux Échecs. Après chaque ronde, quelques vaillants harponneurs ont lâché au reporter de ce blog des informations précieuses. Les voici :

À la ronde 1, tout le monde a raté sa partie, sauf Maxime, auteur d’un mat du couloir simple et efficace.

À la ronde 2, Ulysse a gagné au temps, démontrant l’importance de la pendule quand l’adversaire est sous pression.

À la ronde 3, Emma a gagné avec les blancs en jouant une Anglaise au début original : 1.c4 f5.

À la ronde 4, Faustin a battu un joueur classé 1800 Elo grâce à son avance de développement. Et Maxime a sans doute réalisé la partie du jour : un mat somptueux avec le Cavalier qui exécute un Roi noir obligé de partir à l’aventure au centre de l’échiquier.

À la ronde 5, Wesley a gagné face à Jean-Philippe, qui n’a pas su continuer sa belle remontada. Et la bouteille de Château Montaiguillon que Jean-Philippe venait de gagner pour sa victoire à la ronde précédente n’est pour rien dans cette défaite.

À la ronde 6, Ulysse a bien fait fructifier ses deux pions d’avance. Victoire !

À la ronde 7, Maxime a gagné grâce à la Défense Alekhine. Faustin, de son côté, a empoché une belle Tour grâce à une astucieuse collaboration Dame-Pion, avant de l’emporter.

Après la ronde 8, il y a eu un gros abat d’eau dans la cour de récréation de l’USB. Et nous en avons conclu, le papa d’Ulysse et moi, que le dieux étaient en colère. Cette hypothèse s’est vérifiée à la ronde 9 puisque la foudre de Rascar-Capac-le-Feu-du-Ciel s’est abattue sur mon crâne.

En conclusion, je rappellerai le film d’Hitchcock, Rebecca, où une gouvernante vêtue de noir, Miss Denvers, arrive pendant tout le film dans la plus grande discrétion et murmure à l’oreille de Joan Fontaine terrorisée « Je suis là ». Comment fait-elle pour être partout et partout à l’heure ? Nul ne le sait !

C’est un peu l’énigme qui plane au-dessus de Wesley, notre Miss Denvers à nous, qui part de Créon 15 minutes après les autres et que je retrouve toujours juste derrière mois au moment du pointage. Une enquête discrète auprès de ses passagers prouve qu’il respecte scrupuleusement le Code de la Route. Alors ? Mystère !

À bientôt, les futurs Carlsen ! Mangez des pâtes !

Jean-Michel Labourdique

17e Open de Rentrée de Bordeaux, Union Saint Bruno, 22 septembre 2024

ClassementGrille américaine


Prochain tournoi

1er Open Rapide de Créon
Dimanche 6 octobre 2024 à Blésignac

Inscription par mail envoyé à Wesley LAURON chesswesley@gmail.com.

Fiche du tournoi


Moby-Dick (titre original en anglais : Moby-Dick; or, The Whale ; Moby-Dick ; ou, le Cachalot) est un roman de l’écrivain américain Herman Melville paru en 1851, dont le titre provient du surnom donné à un grand cachalot au centre de l’intrigue. Le capitaine Achab est un personnage de fiction et le principal protagoniste du roman. C’est le capitaine monomaniaque du baleinier Pequod. Lors d’un précédent voyage, la baleine blanche Moby Dick a dévoré une jambe d’Achab, le laissant unijambiste, avec une prothèse faite d’ivoire. La chasse à la baleine du Pequod devient une chasse vengeresse contre Moby Dick.

** Le sextant est un instrument de navigation à réflexion servant à mesurer la distance angulaire entre deux points aussi bien verticalement qu’horizontalement. Il est utilisé principalement pour faire le point hors de vue de terre en relevant la hauteur angulaire d’un astre au-dessus de l’horizon.

*** Le loch est un instrument de navigation maritime qui permet d’estimer la vitesse de déplacement d’un navire sur l’eau, soit sa vitesse relative en surface par rapport à la masse d’eau où il évolue.

Illustration : Moby-Dick – Lutte finale – Par I. W. Taber – Edition Charles Scribner’s Sons, New York, Domaine public.


Le Tournoi, jour après jour, raconté par Jean-Michel

Le Tournoi, jour après jour, raconté par Jean-Michel

Les tautaulogues

Vendredi 26 juillet 2024

La tautologie est une figure de rhétorique, qui définit un être ou une chose par son nom.
Mon sergent au 4ème RIMA de Fréjus faisait de la tautologie :

– Quand tu es dans l’infanterie de Marine, disait-il, tu es dans l’infanterie de Marine.

La plupart du temps, la tautologie, c’est bête comme la mort. « Stat rosa pristine nomine, nomina nuda tenemus ». On croit que c’est malin parce que c’est dit en latin, mais c’est bête comme la mort. On appelle une rose une rose parce que c’est une rose.

Hier nous placions les 398 tapis de sol pour le Grand Tournoi, activité éreintante et débilitante, mais bonne pour le coeur, le souffle et l’esprit d’équipe. À cette occasion, j’ai vécu un grand moment de tautologie.

– Quand c’est fini, c’est fini, a dit Wesley, en débouchant une bière sans alcool avec les dents.

– Salut les poteaux, a dit Sylvain en arrivant, l’heure c’est l’heure.

– Le boulot, c’est le boulot, ai-je dit d’un air sévère, en indiquant un tapis qui déparait l’harmonie des 397 autres tapis.

– Un petit décalage, ce n’est qu’un petit décalage, a dit Erwan, l’air innocent.

– Quand j’ai dit non, c’est non, ai-je répondu, en rappelant que j’étais le capitaine de la division Régionale, et que le capitaine c’est le capitaine.

À ce moment, Luther a haussé les épaules, et Erwan et Fabrice ont entamé une discussion pas du tout tautologue sur les 380 V de la salle, qui permettaient de facturer moins d’ampérage mais laissait EDF se rattraper sur le tarif de l’abonnement. Je suis sorti avec un gros mal de tête.

Dehors, deux joueurs d’échecs analysaient une partie, vite fait :

– Quand ton Roi est à l’abri, disait l’un, ton Roi est à l’abri.

De la Tautologie ! Je suis donc resté !

Coplas a la Muerte de su Padre

Samedi 27 juillet

Quelques vers de ce très vieux poème de Jorge Manrique, que Paco Ibanez a mis en musique cinq siècles plus tard, pourraient illustrer la déconfiture de quelques attaques mal construites.

No mirando a nuestro dano
Corremos a rienda suelta
Sin parar.
Desde que vemos el engano
Y queremos dar la vuelta
No hay lugar.

Sans penser aux conséquences, sans jamais ralentir, nous courrons à bride abattue. Quand nous apercevons le piège et que nous voulons faire demi-tour, c’est impossible.

Donc – c’est inattendu – Pierre Southichay a réussi à désamorcer l’attaque de notre ami Loïc Travadon lors de la traditionnelle partie d’échecs simultanée qui précède le tournoi international. Loïc, comme le prévoyait Jorge Manrique cinq siècles et demi auparavant, n’a pas réussi à faire demi-tour à temps. Il a sacrifié sa Dame pour un bénéfice nul, et Pierre a arraché le Roi blanc à sa résidence d’été comme un torero arrache à sa querencia un taureau difficile.

– La chance du débutant, a dit Pierre, ébahi de sa réussite.

Non, non, Pierre ! Aux échecs, la chance n’intervient pas, sauf si un astéroïde pulvérise la salle de jeux.

Il grandira, car il est espagnol

Dimanche 28 juillet

L’opéra regorge de sophismes, ces raisonnements fantaisistes qui aboutissent à des conclusions absurdes.
Le Professeur Dulcamara, un charlatan, déclare dans L’Elixir d’Amour de Gaetano Donizetti :
– Regardez tous ces gens qui m’aiment, c’est bien la preuve que mon médicament est bon.
– Tu m’aimes, hurle Donna Anna à son amant un peu dépassé, alors tu veux la même chose que moi (la mort de Don Juan).
Mais le plus beau sophisme se trouve dans La Périchole, peut-être la meilleure œuvre de Jacques Offenbach :
– Il grandira, car il est espagnol.

Je fredonnais ça in petto, la veille du tournoi, en m’entraînant à la Partie Espagnole, inventée au XVIème siècle par Ruy Lopez, un moine dominicain qui hantait la Cour de Philippe II :
– Elle grandira, mon offensive, car elle est espagnole, tadam tadadam…

Comme de nombreux de joueurs, j’ai le plaisir et l’honneur d’héberger d’autres participants pendant cette grande compétition d’échecs. À cette occasion, chacun peaufine ses ouvertures, comme les copains de Sean Connery, dans Les Incorruptibles, graissent leurs revolvers avant leur rendez-vous avec Al Capone.

Ce soir-là, c’est André-Paul de l’Échiquier Clermontois qui me donne la réplique.
André-Paul joue la Caro-Kann ou le Système de Londres. Il ne me l’a pas dit, mais je pense qu’il tient l’Espagnole pour un vieux tromblon inventé au temps de l’Invincible Armada, une pièce de musée incapable de donner la victoire sur un champ de bataille du XXIème siècle, surtout quand c’est un vétéran qui a joué 1.c4 toute sa vie qui essaie d’actionner cette arme antédiluvienne.

Il n’a peut-être pas tort. Les Espagnoles que j’ai jouées ce soir-là ont accouché de structures de pions hideuses, des petits monstres de Frankenstein émancipés de leur créateur, et perdus sur l’échiquier.

Pas grave ! Je jouerai l’Espagnole !

– À nous deux, Ruy Lopez !

Demandez tout pour ne rien obtenir

Lundi 29 juillet

C’est le conseil de Pylade à Oreste dans Andromaque. Il est valable aussi aux échecs. Quand on attaque à tout va dans tout les coins de l’échiquier, le résultat peut la plupart du temps être mesuré par un nombre voisin de zéro.

Andromaque est d’ailleurs une parabole du jeu d’échecs. Personne n’aime Oreste, qui aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime le fantôme d’Hector. Cette poursuite infernale finit dans un bain de sang, comme aux échecs, où les embrassades et les corps à corps des pièces se résolvent dans le meurtre du Roi.

Aujourd’hui, l’esprit du théâtre et de la tragédie soufflait sur Créon. Pas seulement parce que, comme dans Macbeth, beaucoup de dames hagardes cherchaient désespérément un endroit où se laver les mains (toilettes trop rares).

Au débriefing, le soir, chez moi, où de bons camarades me font l’honneur d’accepter mon hospitalité, les discussions étaient animées. Chacun expliquait sa défaite.

Titouan, d’accord avec Pylade, accusait une gourmandise fatale, qui l’avait conduit à se gaver de pions inutiles.

Denis accusait tout simplement un coup de paresse gigantesque, qui l’avait foudroyé et rendu malléable à la défaite.

Yann disait simplement que la chaleur caniculaire avait consumé toutes les petites cellules cérébrales qui permettent, chez l’être humain, de concevoir que un et un font deux. Et il émettait de sérieux doutes sur la nature terrestre des vainqueurs à la fin de cette journée, véritablement inhumaine, mais inoubliable pour le chiffre d’affaires réalisé à la buvette grâce au rosé bien frais.

André-Paul, fidèle aux valeurs de l’Auvergne, s’est montré avare d’explications.

Quant à moi, j’ai bien négocié une Française Variante d’échange jusqu’au 40ème coup. Mais ensuite, Leo m’a bien montré que, comme dans Le Cid, la valeur n’attend pas le nombre des années. Et Don Diègue a gentiment liquidé Don Gormas – un Don Gormas déjà à moitié liquéfié par le plomb fondu qui tombait du ciel.

I’ve got my fingers crossed

Mardi 30 juillet

C’est le titre d’une chanson de variétés aux paroles plutôt stupides, écrite aux USA pendant la Grande Dépression. En 1939, le pianiste de jazz Fats Waller s’en empare et en fait un chef-d’œuvre.

C’est un peu le sort de mes parties. Elles regorgent de coups imprécis (pour les meilleures) et de grosses gaffes (pour les pires). Mais, au moment de l’analyse, un copain au gros Elo s’en empare à la façon de Fats Waller.

– Là, tu vois, me dit-il, tu n’as pas pris, et ne pas prendre, c’est très aventureux.
(Je ne suis plus un gros gaffeur, mais un aventurier, Magellan qui essaie sans carte de trouver un passage vers le Pacifique !)
Il continue :
– Là, tu t’es lancé dans une offensive dangereuse sans possibilité de replier tes pièces lourdes.
(Comme Cortés ! Cortés qui brûle ses vaisseaux sur les plages mexicaines pour s’obliger à conquérir le Mexique !).
Il conclut :
– Et là, tu t’es obstiné à passer par le centre alors que la solution était aux ailes.
(Comme Napoléon, qui a jeté toute sa Cavalerie à Waterloo sur les carrés de Wellington !)

Un long silence se fait. Par contre, signale le copain, si tu avais joué 18.Dh5, ça aurait été vraiment génial.

Vous avez compris, les futurs Carlsen ? La prochaine fois, jouez 18.Dh5, c’est génial.

Bon, pour revenir à ce mardi 30 juillet, il n’y a a eu que des choses positives :
Denis a trouvé que j’avais VRAIMENT fait une partie correcte.
Maxime a gagné le matin grâce à une superbe structure de pions
Luther a gagné le matin grâce à deux Cavaliers de feu.
Et l’après-midi, grâce à un miracle (selon lui), Bernard m’a pardonné d’avoir cafté à l’arbitre, je n’ai perdu aucun joueur malais pendant que Denis n’égarait aucun joueur indien… Le bonheur !

Un grand merci aux filles de la buvette, aux sourires toujours aussi étincelants, malgré les 4568°C du thermomètre !

The happiest the cow, the better the milk

Jeudi 1er août

Plus la vache est heureuse, meilleur est son lait. C’est ce qui est écrit, au Pays de Galles, sur les emballages de lait concentré sucré.

Et plus le joueur d’échecs est bien dans sa peau, meilleure est son Espagnole. Je sortais guilleret de la salle de jeux en chantonnant in petto « Elle a grandi mon offensive, tadam tadadam ! », quand je croisai José, aussi gai que moi.

– Je cherche Bernard pour qu’on analyse mon triomphe,dit-il,tout sourire.

Nous nous aperçûmes que Bernard était mêlé à une discussion animée avec le Président de la Ligue, discussion qu’il était hors de question d’interrompre. Nous décidâmes alors de demander son analyse à Denis.

– Pas de problème, dit-il, mais je vais d’abord voir où en sont mes Indiens, puisque je suis devenu leur chauffeur de taxi inamovible.

Nous vîmes alors que le Président de la Ligue marchait esseulé, et nous repensâmes à la solution Bernard. Mais celui-ci, cramponné à la buvette, tenait à Arnaud des propos incompréhensibles sur les bienfaits du vin rosé et les méfaits de la délation.

Mais Denis était revenu de son voyage en Inde ! Seulement voilà : José, captivé, était désormais indéboulonnable de l’écran géant qui retransmettait les Jeux Olympiques, où un sport bizarre à base de vélo le fascinait.

Je pensai aux fêtes de Bayonne de ma jeunesse. Régulièrement, nous déjeunions le vendredi midi au bar-restaurant Sainte-Cluque, à côté de la gare, dans le quartier Saint-Esprit. Parmi nous, une grande quantité d’arbitres de rugby, donc normalement, des gens disciplinés, et pourtant !
Juste avant de passer à table, Gilles Peynoche, futur Président de l’ASB, disait :
– Et cette année, ne vous comportez pas comme l’année dernière, à 16 heures, je vous veux tous place Saint-André aux courses de vaches !
Et, régulièrement, après avoir mangé, nous nous égrenions sur le pont Saint-Esprit ou dans la rue Bourgneuf, où nous croisions tant de copains, d’amies ou d’inconnus. Jamais au cours des ans, nous n’atteignîmes la place Saint-André.

Revenons au présent. En ce 1er août inoubliable, la tente tenant lieu de salle d’analyse fut hors d’atteinte, autant que la place Saint-André l’était au temps de ma jeunesse.

– Donc, l’essentiel, les gars, ai-je dit à l’heure du petit-déjeuner le lendemain de ces parties qui ne seront jamais analysées, l’essentiel n’est plus de gagner le match. C’est d’arriver à en parler avec quelqu’un.

Ça va rater !

Vendredi 2 août

1964. La télévision, en noir et blanc, n’a qu’une chaîne. Moi, j’ai 8 ans, et je regarde fasciné Les Aventures de Zorro. Régulièrement, le sergent Garcia expose à son subordonné son dernier plan pour capturer le justicier masqué.
– Ça va rater, Sergent, répond le caporal Reyes.

1967. J’entre en 6ème, on m’y fait lire l’Iliade. Je reviendrai de Troie couvert de gloire, mère, déclare Achille.
– Ça va rater, fiston, répond Thétis, qui sait confusément qu’elle a oublié quelque chose de capital, le jour du baptême du gamin.

1969. Je découvre avec un bonheur ineffable l’existence du journal Pilote et du vizir Iznogoud, obsédé par son plan génial pour débarquer le calife qu’il veut remplacer.
– Ça va rater, patron, répond invariablement son fidèle homme de main, Dilat Larat.

Donc, toute ma jeunesse, j’ai été éduqué à la méfiance et au pessimisme. Certains, des intellos, ont été biberonnés à l’optimisme dès l’adolescence, avec comme parrains Leibniz, Kant et Spinoza. Moi, les fées qui se sont penchées sur mon berceau sont, plus modestement, Dilat Larat, Thétis et le caporal Reyes.

Ce vendredi, cette sinistre fatalité semblait accompagner mon Anglaise. Est-ce que ça allait rater ?
Match nul ! Comme beaucoup d’autres joueurs, bizarrement, ce jour-là !

Maylis était heureuse de son match nul, qui concluait heureusement une Sicilienne où elle s’était lancée avec beaucoup d’insouciance.

Aurora, au contraire, en était mécontente, car cette nullité saccageait les espérances qu’elle avait mises dans une variante de l’Écossaise absolument diabolique.

Pour Maxime aussi c’était clairement un échec, mais Maxime aime par-dessus tout, je crois, les belles parties bien menées avec un résultat clair, et il n’a sans doute pas tort.

Quant à moi, j’ai imposé à mon adversaire un jeu plus fermé que les caves de la Banque de France. Ce ne fut pas Waterloo, aurait dit Jacques Brel, mais ce ne fut pas Arcole.

Comme une apothéose

Samedi 3 et dimanche 4 août

L’odeur de café et de pain grillé emplissait la cuisine. C’était l’aube, l’heure des conversions et des grandes résolutions.

– Dès aujourd’hui, je jouerai positionnel, annonça Denis d’une voix grave. Mais il faut que je fabrique du Vauban, et pas de ligne Maginot. Plus d’épopée, de la forteresse, mais de la forteresse de qualité : d4. Et puis après ? Le Système de Londres !

– Et si tu as les Noirs ?

– La Hollandaise ! Stonewall ! Le Mur de Pierres !

En écoutant Denis, j’exultais. J’avais enfin converti quelqu’un à ma mentalité pantouflarde de conquistador retraité.
Le Bertrand Du Guesclin de l’Aviron Bayonnais était devenu un paisible sédentaire. Mon chat Juju, rassuré par cette conversion, vint se vautrer sur les genoux du guerrier assagi.

Cet après-midi-là, Denis tint sa promesse et joua positionnel. Mais jouer positionnel face à un as de la Caro-Kann comme Olivier équivaut à attaquer un tigre avec un lance-pierre.

Il me fut bien difficile de distinguer, dans les « abrazos » au comptoir de la buvette, qui avait gagné et qui avait perdu. Je pensai aux articles de l’Équipe d’Antoine Blondin, qui affirmait que, même avec une bonne vue, les verres de contact étaient indissociables du sport, spécialement au comptoir du bar à côté du stade.

C’est valable aussi pour les échecs. Qu’importe le résultat, pourvu que nous puissions faire la connaissance de personnes de qualité, amoureuses de la jeunesse éternelle procurée par ce sport merveilleux.

Wesley ne m’en voudra pas si je conclus en disant que le plus beau trophée que nous emportons ne fait pas partie des belles coupes de bronze qu’il a commandées. C’est le souvenir du sourire et de la gentillesse des filles de la buvette. Bravo à elles !

À bientôt les futurs Carlsen ! Mangez des pâtes !

Jean-Michel Labourdique

Partie d’Échecs Simultanée – Créon 2024

Partie d’Échecs Simultanée – Créon 2024

Les Échecs s’invitent à « La Piste sous les Étoiles »

C’est désormais une tradition établie depuis de nombreuses années par l’Échiquier Club Créonnais. Deux jours avant l’ouverture du grand Tournoi International d’Échecs de Créon, les échecs s’invitent à la fête musicale et gastronomique « La Piste sous les Étoiles » qui a lieu tous les étés à Créon, sur la piste cyclable Roger Lapébie.

Une étoile pour la Partie d’Échecs Simultanée : le MI Loïc Travadon

Une nouvelle fois, ce samedi 27 juillet 2024, une étoile des échecs français, le Maître International Loïc Travadon est venu se joindre à la fête. Il est a noter au passage qu’il venait d’être propulsé dans le champ médiatique après avoir été l’un des porteur de la flamme olympique des jeux de Paris 2024.

La Partie Simultanée organisée par l’Échiquier Club Créonnais a permis aux jeunes joueurs d’échecs du Créonnais, mais aussi aux élus et aux partenaires du tournoi international, ainsi qu’aux membres et sympathisants du club qui le souhaitaient, de défier le champion français, classé 1458 Elo.
Mais autant dire qu’avec un tel classement, il était difficile pour les jeunes participants ou les joueurs amateurs d’espérer battre Loïc Travadon.

Le coup d’envoi est donné

Vers 19h30, Wesley Lauron, président de l’Échiquier Club Créonnais et organisateur du tournoi international, donne le coup d’envoi.

Respectant l’usage, Loïc Travadon serre alors la main de son premier adversaire pour lui souhaiter une bonne partie. Puis, il joue son premier coup avec les pièces blanches et passe devant l’échiquier suivant pour faire de même.

Pour tous, le but est alors de jouer une belle partie, de résister le plus longtemps possible, de s’amuser et de garder un bon souvenir d’une partie exceptionnelle.

Chaque joueur dispose de plusieurs minutes pour réfléchir à son coup suivant. Car il faut attendre que le multiple champion de France Jeunes finisse de faire le tour des 14 autres adversaires avant qu’il ne revienne face à lui. En revanche, il ne suffit que de quelques secondes à Loïc Travadon pour évaluer la position des pièces sur l’échiquier et jouer son meilleur coup, avant de passer à l’adversaire suivant !

Mais un coup de champion est-il toujours le meilleur ?

Peu à peu les premières parties s’achèvent. Et Loïc Travadon enchaîne logiquement les victoires.

Mais, face à Pierre Southichay, qui a rejoint l’Échiquier Club Créonnais au début de cette saison, Loïc Travadon sacrifie soudain sa Dame dans une position de jeu compliquée. Ce coup spectaculaire intrigue les spectateurs, soudain très intéressés par la suite de la partie. Pierre, se méfiant d’un piège et d’une défaite proche, réfléchit longuement. Il garde son sang-froid et calcule soigneusement toutes les lignes possibles. Il finit par se rendre compte que le sacrifice est une énorme erreur du champion et finit par emporter la partie.
Cela nous enseigne que tout champion peut avoir de temps à autre une défaillance, surtout dans de telles conditions de jeu.

Pierre Southichay est alors félicité par Loïc Travadon et l’ensemble des joueurs qui s’étaient attroupés autour de l’échiquier.

La coupe du vainqueur est ensuite remise au héros du jour par Stéphane Sanchis, 2e Adjoint au Maire de Créon.

Stéphane Sanchis, Wesley Lauron, et Loïc Travadon ont félicité Pierre Southichay

Pour tous les jeunes joueurs inscrits au 28e Tournoi International d’Échecs de Créon qui a débuté lundi 29 juillet 2024, ce fut une belle partie d’entraînement !

Remerciements

L’Échiquier Club Créonnais remercie l’ensemble des participants ainsi que ses partenaires et tout particulièrement la Mairie de Créon qui a permis d’inviter Loïc Travadon pour ce bel événement.

Jean-Étienne Haeuser


Le 28e Tournoi International d’Échecs de Créon 2024

Les partenaires du 28e Tournoi International d’Échecs de Créon 2024


Le Désert des Tartares

Le Désert des Tartares

Dans Le Désert des Tartares, cette merveilleuse nouvelle de Dino Buzzatti, le lieutenant Drogo gaspille sa vie dans un avant-poste perdu du désert, attendant désespérément de combattre des hordes nomades qui n’arrivent jamais.

Tel fut le sort de mon Cavalier, rare survivant d’une Sicilienne Rossolimo, surveillant inutile d’un espace aride. Par contre, le Fou indétrônable de mon adversaire a profité de son avant-poste à lui pour contrôler tout l’échiquier. « Caramba, encore raté ! »

Nénègle à la Montagne

Le petit roman illustré de Benoît Charlat Nénègle à la Montagne, publié aux Éditions des Loisirs, comporte des pages cartonnées pour que les lecteurs de deux ou trois ans puissent mâchouiller le livre sans l’abîmer. Nénègle est un aiglon encombré de son doudou et de son cartable, et il veut devenir un Aigle ! Alors Nénègle se lance du haut des Grandes Jorasses ! Mais Nénègle va mourir, car il serre contre lui doudou et cartable, et il tombe comme une pierre. Quand Nénègle se résout à bazarder tout ce fatras, Nénègle peut voler, c’est un Aigle !

C’est la leçon du gambit aux échecs : plus on se dépouille, plus on s’enrichit. Faustin l’a bien compris, lui qui a proposé dès le troisième coup à son adversaire un pion de l’aile pour écarter un pion du centre. Mais l’adversaire avait lui aussi lu Nénègle à la Montagne quand il était petit : gambit refusé. Victoire cependant de Faustin, après une finale haletante.

L’adversaire de Luther avait lui aussi lu les aventures de Nénègle, et proposé un gambit, refusé lui aussi, car Luther et Faustin ont lu les mêmes livres quand ils étaient petits. Victoire de Luther.

À bientôt les futurs Carlsen ! Mangez des pâtes !

Jean-Michel Labourdique

Tournoi fermé Créon B – Ronde 5 – 11 juillet 2024

Fiche du tournoi RésultatsGrille Berger